mardi 3 juin 2014

Bobos méprisants, svp enlevez vos oeillères et sortez le nez de vos livres

Abolition du salaire minimum? Non merci!

Ce weekend comme à tous les weekends, je suis allée casser la croûte du dimanche matin au resto tout en sirotant mon café matinal avec bien sûr, un journal à la main. Les journaux papier devenant une espèce de plus en plus rare, j'ai jeté mon dévolu sur le « journal qu'on aime lire » et je l'ai dévoré du début à la fin. Cette mise en bouche journalistique pour la semaine à venir fait invariablement partie de mon repas, impossible d'y déroger et, déformation professionnelle oblige, je parcours bien évidemment,  toutes les infos reliées aux finances quelles qu'elles soient. 

Ce dimanche toutefois, une chronique m'a particulièrement interpellée. Celle-ci, rédigée par une enseignante aux HEC et économiste de formation, n'a pas manqué de soulever mon ire. Je ne suis absolument pas envieuse des HEC, loin de là, car à l'époque où j'ai entrepris mes études en administration, j'avais fait des demandes d'admission dans trois universités: Sherbrooke, McGill et les HEC et je fus cceptée dans les trois institutions. Cependant, Trésor n'était alors âgé que d'un an et j'ai choisi de demeurer dans mon patelin car je me voyais mal lui faire respirer du smog et ne pouvoir lui offrir un endroit où jouer en toute sécurité. De plus, le profil entrepreneurial de l'UdeS me plaisait beaucoup plus. C'est donc dans les couches, les allers-retours à la garderie et les poussées de dents que j'ai entrepris mon baccalauréat. 

Les chartes et le droit à un niveau de vie décent

Ce qu'on nous a appris sur les bancs d'école et ce que les savants comptables et économistes nous enseignent a beaucoup de valeur certes, mais la réalité n'a rien à voir avec les livres et je sais de quoi je parle. On mentionne dans la chronique qu'il faut abolir le salaire minimum et que les salariés devraient être payés au mérite. De plus, la chroniqueuse traite de façon abjecte les travailleurs manuels de ce monde et les jeunes sous prétexte qu'ils n'ont ni expérience ou encore, sans diplôme universitaire. Dans la vraie vie, tout n'est pas si simple. Dans un premier temps, on semble oublier que la Charte garantit un niveau de vie décent  à tout citoyen. Or, selon l'approche téléologique de la Charte, le salaire minimum cadre tout à fait avec cette approche qui est d'assurer un niveau de vie décent à tout le monde, y compris les jeunes et les gens qui ont moins d'instruction. Je ne sais pas où vous pigez vos théories mais si on abolit le salaire minimum, il y aura de plus en plus d'assistés sociaux car à 1 200$ par mois, avec en prime les médicaments payés, les allocations d'aide à la famille et les frais paramédicaux payés, aucun couple avec un jeune enfant n'ira travailler à trois dollars de l'heure avec l'obligation de payer une garderie à 7$ non déductible d'impôt. En tout avec l’allocation logement, le crédit de solidarité les allocations familiales et les 300$ de travail permis par mois sans subir de coupure, c'est plus ou moins 2000$ par mois que cumule un jeune couple avec un enfant de moins de 5 ans car on le dit non disponible à l'emploi en raison de la présence d'un enfant d'âge préscolaire. Rien pour encourager à aller travailler à 5$ ou 6$ de l'heure  S'il le fait, il aura deux alternatives: soit il travaillera au noir ou soit, il devra tout de même recourir à l'aide sociale pour combler son déficit de revenu. 

Une réalité loin du monde idéal des livres

Les belles théories où tout le monde est beau et tout le monde est gentil et idéaliste qu'on enseigne dans les livres et où la comptabilité de tout le monde est à jour et en ordre surtout, font vraiment mais vraiment,  abstraction de la réalité. Idem pour le travail au noir dont on ne parle jamais dans les livres. Quel choc pour un bachelier qui débarque dans un organisme réglementaire! J'ai été à même de le constater au cours de ma carrière comme enquêteur au Ministère du Revenu. Des sacs à poubelles remplis de documents comptables pêle-mêle, non triés, ni comptabilités adéquatement, j'en ai reçu des tonnes et des tonnes de copies. C'était mon quotidien. Des revenus non déclarés et du travail au noir, j'en ai comptabilisés beaucoup plus que vous ne pouvez le pensez. Et vous savez que ces salariés gagnaient au moins le salaire minimum? Imaginez si on l'abolissait,  cela serait terrible. Non seulement il y aurait davantage de travail au noir mais aussi, beaucoup de revenus perdus pour le gouvernement. Je conçois mal qu'un détail aussi important ait été oublié dans cet article de journal.  La raison invoquée pour travailler au noir étant le coût de la vie. Abolir le salaire minimum serait donc une véritable catastrophe pour les travailleurs.

Les besoins et la pyramide de Maslow

L'abolition du salaire minimum mettrait en péril la sécurité alimentaire, la possibilité de trouver un logement décent, bref, le droit à la sécurité tout court et provoquerait aussi, l'isolement social. La pyramide de Maslow, est-elle méconnue des manuels aux HEC? C'est une théorie fondamentale à assimiler en marketing et en psychologie et même, en comportement du consommateur qui est même enseignée au collégial.

Le despotisme

Une autre conséquence de l'abolition du salaire minimum est le risque de despotisme de certains patrons méprisants qui, du jour au lendemain, décideraient que les employés ne valent rien simplement pour gonfler leurs profits.  De même, qui décidera de la valeur d'un employé et surtout, quelle sera la mesure étalon? Cette mesure risquerait éventuellement d'ouvrir la porte au favoritisme et le mouton noir d'une entreprise deviendrait subitement le moins bien payé. C'est faire preuve de subjectivisme au plus haut point.

Les jeunes

Finalement, je ne saurai passer sous silence le mépris affiché dans cette chronique à l'égard des jeunes, des gens moins instruits et des « tondeux » de gazon. De un, on y affirme que les jeunes sans expérience mérite moins que le salaire minimum. À part leur manque d'expérience, lequel pourrait justifier un faible revenu, je vois mal comment ils pourraient vivre décemment avec moins que 10.35$ de l'heure ce qui est déjà  largement en-deçà du seuil de la pauvreté. Un pain, ça coûte le même prix pour tout le monde. Oseriez-vous dire à un jeune médecin fraîchement émoulu de la fac,  n'ayant jamais occupé un emploi rémunérateur pour se consacrer pleinement à ses études qu'il ne mérite que deux dollars de l'heure. Je vous souhaite la meilleure des chances pour vous trouver un médecin de famille avec une attitude aussi condescendante et cela ne réglerait en rien la pénurie de médecin.

Les manuels

Pour ce qui est des gens moins instruits dont le travail vaudrait moins de deniers, selon vos dires, je ne suis tout simplement pas d'accord avec vous.  D'une part, j'ai œuvré pendant assez longtemps comme enquêteur à la CCQ pour affirmer qu'on ne peut octroyer le salaire que l'on veut à ces gens en dépit de leurs lacunes au niveau pédagogique. Il ne faut pas oublier que malgré le fait que vous pensiez qu'ils ne méritent aucunement un salaire décent, vous devez tout de même respecter la loi même si vous enseignez aux HEC et même, dans le cas où vous êtes un magnat de la construction.  La loi R-20 est faite pour être respectée et malgré un statut de sommité, je doute fort qu'un enquêteur vous donnerait raison car malheureusement, cette fois-ci,  vous n'aurez pas le gros bout du bâton car il en faut bien plus à la grande patronne de la CCQ pour être impressionnée. Ce n'est pas pour rien qu'on la surnomme la lionne. Est-ce que vous iriez vous, peindre un pont au-dessus du fleuve en étant suspendu dans un harnais ou jouer dans des pylônes électriques ou juste déboucher une simple toilette? Ça m'étonnerait même que vous songiez à vous salir les mains pour déboucher les toilettes donc svp, un peu de respect pour les plombiers qui méritent toute mon admiration et leurs pairs du bâtiment, svp.

Les « tondeux » de gazon

Finalement, je ne sais pas ce que vous avez contre les étudiants qui tondent des gazons mais sachez que les jeunes qui créent leur propre emploi d'été seront souvent des entrepreneurs qui feront rouler l'économie. Ce sont des leçons chèrement acquises à l'UdeS, lequel possède un institut d'entrepreneuriat,  qui m'ont sensibilisée à ce fait. J'ai moi-même eu recours à ce stratagème pour financer mes études universitaires et croyez-moi, madame, il faut plus que deux jambes et deux bras pour réussir à amasser assez de deniers durant un été; pour ne pas avoir à travailler durant le reste de l'année scolaire. D'abord, c'est de la vraie
« business » n'en vous déplaise. Il faut planifier, coordonner, diriger et organiser à la fois des contrats, des clients, des salariés, son propre travail mais aussi, des ressources matérielles et financières. Si ce n'était que des peccadilles comme vous le prétendez,  expliquez-moi pourquoi,  45 commerçants et gens d'affaires m'ont fait confiance,  durant ces trois années,  et que le banquier a accepté de me financer une camionnette 4 X 4, flambette et de l'équipement dernier cri. Et pourquoi, la plupart des clients ont renouvelé leur contrat pendant toute la durée de mes études? Et tout n'est pas fini après cette quarantaine d'heures de marche hebdomadaire car il faut tenir les registres comptables,  concevoir une campagne marketing et faire le suivi de la satisfaction de la clientèle et la perception. Comme vous pouvez le constater, le salaire est pleinement mérité et il ne faut pas lever le nez sur les étudiants qui tondent des gazons car on ne sait jamais où cela peut les mener.

Perso, je vous mets au défi de venir tondre 45 terrains commerciaux (lire vastes) par semaine,  à 30 degrés au soleil, sans rechigner, jour après jour, avec le son de la tondeuse en trame de fond et de devoir le soir, tenir les registres comptables. Et puis, non, laissez tomber, car je parie que vous ne serez même pas capable de démarrer le moteur de la tondeuse à essence et que je devrai vous superviser pour que vous ne coupiez pas les plates-bandes. Mieux vaut que je le fasse moi-même.





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